La pseudoscience ne cesse de gagner en popularité sur les réseaux sociaux et, dans le débat sur le port du masque, ses effets sont inquiétants
Selon les plus récents sondages, une majorité de Canadiens serait favorable au port obligatoire du masque dans les lieux publics intérieurs, afin de limiter la propagation du coronavirus. Mais si les chiffres révèlent que près de 70% de la population est favorable au port du masque obligatoire, on remarque toutefois que cette question soulève le mécontentement et les inquiétudes de nombreuses personnes.
Parmi les nombreux arguments anti-masques ayant été soulevés, certains sont d’ordre économique. De nombreux commerçants, par exemple, se disent préoccupés par l’impact que de telles mesures pourraient avoir sur leurs entreprises. D’autres arguments sont plutôt d’ordre idéologique et politique. On peut penser, notamment, aux individus qui sont d’avis que l’obligation du port du masque va à l’encontre de nos droits et libertés. Certains recours légaux ont même été entamés, afin de déterminer si cette mesure était constitutionnelle ou si elle allait à l’encontre de la Charte canadienne.
Enfin, de nombreux arguments anti-masques sont d’ordre sanitaire… et, plus souvent qu’autrement, pseudoscientifique. Sur les réseaux sociaux, d’innombrables publications relayent des images ou des articles qui allèguent tantôt l’inutilité du couvre-visage, tantôt sa dangerosité. Et dans un cas comme dans l’autre, dans une grande majorité de cas, les véritables experts de la question relèvent qu’il s’agit d’arguments erronés, non vérifiés, ou encore basés sur des études n’ayant pas été validées par la communauté scientifique.
Le Dr Russell Blaylock, un neurochirurgien dont le permis d’exercer la médecine est aujourd’hui expiré dans plusieurs états américains, est reconnu pour ses positions allant à l’encontre du consensus scientifique ainsi que pour ses théories conspirationnistes.
Au mois de mai, le Dr Blaylock publiait un article dans lequel il mettait en garde contre les risques associés au port du masque. Son texte avait toutes les apparences d’une publication scientifique crédible. L’auteur faisait usage d’un vocabulaire médical soutenu et citait de nombreuses études censées confirmer ses dires. Dans un premier temps, l’auteur détaillait les raisons pour lesquelles il n’y a pas, selon lui, de preuves suffisantes pour justifier le port du masque chez les personnes en bonne santé. Puis, dans un deuxième temps, il entreprenait d’exposer les graves dangers sanitaires qui y étant liés. Parmi les principaux risques évoqués, il notait celui de la diminution du taux d’oxygène dans le sang causée par le port du masque, celle-ci étant directement liée à l’affaiblissement des défenses immunitaires. Il affirmait également qu’en raison du couvre-visage, une personne infectée ne serait pas en mesure d’exhaler correctement le virus. Celui-ci se concentrerait alors dans la fosse nasale, augmentant ainsi le risque que le virus voyage jusqu’au cerveau par l’entremise de nerfs olfactifs.
Les propos alarmistes du Dr Blaylock sont rapidement devenus viraux. Son article aurait été partagé sur Facebook plus de 24 000 fois, et tweeté à plus de 2 millions d’usagers sur Twitter, en plus d’avoir été traduit en plusieurs langues et d’avoir été repris par de nombreux individus et organisations. Or, toutes les affirmations qu’il contenait reposaient sur des thèses erronées ou non vérifiées. D’ailleurs, une rapide recherche en ligne au sujet de ces affirmations, ou encore au sujet Dr Russell Blaylock nous permet de constater que d’innombrables vérificateurs de faits professionnels ont démenti ses propos (ici, ici et ici, entre autres), notamment en faisant appel à l’expertise de scientifiques reconnus dans le domaine. Mais l’article a néanmoins eu une portée considérable, dont il est difficile de mesurer toutes les répercussions.
À moins d’être soi-même un expert de ces questions et de posséder une connaissance aiguisée des sciences biologiques, il est pratiquement impossible pour un individu de juger par lui-même de la vérité ou de la fausseté des propos d’un article comme celui du Dr Blaylock. Il est donc tout à fait compréhensible que, devant un article ayant toutes les apparences d’un discours scientifique étayé par des preuves et ayant été rédigé par un ancien neurochirurgien, de nombreuses personnes se soient alarmées. Toutefois, il est aussi inquiétant de constater que des propos n’ayant été rapportés par aucun média fiable et ayant uniquement transités par les réseaux sociaux soient considérés comme de l’information fiable. Et ce qui est peut-être encore davantage préoccupant, c’est que dans un contexte où des organisations sanitaires nationales ou internationales émettent des avis en faveur du port du masque, le contre-discours d’un seul individu ait une telle portée.
Qu’est-ce qui rend la pseudoscience esi populaire? Pourquoi se répand à une vitesse folle sur les réseaux sociaux et convainc-t-elle si aisément?
Ces questions sont complexes, mais on peut à tout le moins tenter d’avancer ceci : contrairement à la science, qui progresse lentement, émet des hypothèses, et qui est recherche constante, la pseudoscience, prend souvent la forme de réponses claires et définitives. Dans des circonstances comme celles que nous vivons actuellement, les incertitudes se multiplient et la science (la vraie) ne peut fournir des réponses à la vitesse souhaitée. Et les marchands de médecines alternatives et de théories conspirationnistes bénéficient d’un tel climat. Là où la science doit s’abstenir de se prononcer, ils affirment avec assurance. Ils rassurent en comblant des vides, en apaisant les doutes. Mais aussi, ils encouragent la méfiance envers des institutions qui chercheraient à nous cacher une vérité déjà connue.
Sur les réseaux, la désinformation et la pseudoscience profitent très certainement de leur caractère sans équivoque et sensationnel. Par contraste, sauf dans de rares occasions, les nouvelles scientifiques sont beaucoup moins susceptibles d’être porteuses de ces caractéristiques qui contribuent à la viralité des publications. Mais est-ce donc à dire que la diffusion de science et les réseaux sociaux sont incompatibles?
Dans de nombreuses disciplines, il se fait aujourd’hui un excellent travail de vulgarisation des connaissances scientifiques. Toutefois, un des constats récurrents au sein de la communauté scientifique, c’est qu’il reste d’énormes lacunes quant à l’éducation du public au sujet du fonctionnement de la science, de sa méthode et de ses principes. Dans de telles circonstances, difficile pour la population d’accorder sa confiance aux propos d’une « élite ». Il s’agit en quelque sorte de propos qu’on leur demande de croire plutôt que de comprendre. Peut-être peut-on voir là une des raisons pour lesquelles les pseudosciences et autres contrefaçons du discours scientifique résonnent avec autant de force de nos jours? Les gens ne sont pas outillés pour faire la distinction entre la vraie science et celle qui n’en a que les apparences, et bien souvent, cette dernière est beaucoup plus séduisante.
Ce serait sans doute un pas dans la bonne direction que de promouvoir la vulgarisation au sujet des procédés de recherche de la science ainsi que de certaines de ses notions clés (critère de réfutabilité et de réplicabilité, consensus scientifique, etc.). Si l’on permettait aux gens de s’approprier une meilleure connaissance des méthodes d’avancement de la science, on contribuerait sans doute à contrer la méfiance et les critiques non fondées dont elle fait l’objet. On permettrait également à la population de reconnaître plus aisément certains des indices qui permettent de reconnaître la pseudoscience.
Par exemple, si les lecteurs comprenaient d’entrée de jeu que le contre-discours d’un seul groupe de chercheurs, ou encore d’un seul individu n’est pas légitime s’il n’a pas fait l’objet d’un processus de vérification par la communauté scientifique, on pourrait éviter bien des dérives. Ainsi, dans le cas particulier de l’article du Dr Blaylock au sujet des prétendus dangers du port du masque, cela contribuerait positivement à déjouer les tentatives de miner la confiance de la population dans les institutions scientifiques et sanitaires.
Et à plus long terme, peut-être pourrait-on même envisager que les réseaux sociaux deviennent un canal privilégié non seulement pour la diffusion d’informations scientifiques, mais également pour la présentation de ses hypothèses les plus prometteuses ainsi que pour le débat? La science n’est pas monolithique, et il est sain que des idées concurrentes puissent être présentées au grand public. Mais encore faut-il que celui-ci soit prêt à les accueillir pour ce qu’elles sont : des hypothèses qui demande à être validées et, partant, qui n’ont pas valeur de vérité.
Activité 1. En classe, visionnez la vidéo suivante afin de montrer aux élèves de quelle manière ils peuvent contre-vérifier une affirmation : Compétence – Vérifier un énoncé. Demandez leur d’examiner le « tweet » ci-dessous, et d’identifier les étapes à suivre afin d’en vérifier les affirmations.
Liste de suggestions d’éléments à vérifier (utiliser les mots-clés) :
Activité 2. En classe, visionnez la vidéo suivante au sujet de l’expertise : C’est quoi un expert?. Demandez ensuite aux élèves d’effectuer une recherche rapide au sujet du Dr Russell Blaylock.
Questionnez-les afin de savoir quels sont les éléments attirent leur attention (domaine d’expertise, controverses, etc.)
Activité 3. Certaines théories pseudo-scientifiques nous paraissent instinctivement farfelues, qu’on pense à la théorie de la Terre plate ou à la télékinésie. Mais la pseudoscience n’est pas toujours si facile à déceler. Entamez une discussion avec vos élèves au sujet de la pseudoscience, de sa popularité, et des moyens de se prémunir contre les fausses informations qu’elle propage.
Constitutionnel : « Relatif ou soumis à une constitution. » Une constitution se compose des chartes et « textes fondamentaux qui déterminent la forme du gouvernement d’un pays. » (Petit Robert)
Pseudoscience : Raisonnement qui prend l’apparence de la science sans en respecter les principes. (Petit Robert) / Savoir cohérent et organisé comme une science, mais qui n’en a pas la rigueur. (Larousse)